Tribune dans Ouest France: Non à l’uberisation du divorce

Le Gouvernement se trompe en voulant autoriser le divorce par consentement mutuel sans juge. Le principe ? Les époux qui s’accordent sur le contenu du divorce pourraient procéder par un simple accord signé par eux et leur avocat, accord qu’ils déposeraient ensuite chez leur notaire. Si un enfant mineur souhaite être entendu par le juge, l’intervention de ce dernier serait alors rétablie. Encore faut-il que l’enfant – mineur, donc – le souhaite.

La mesure est séduisante. Les arguments ne manquent pas : « pourquoi attendre un juge quand la séparation est consentie ? », « pourquoi contraindre les époux à judiciariser une procédure alors que la rupture se passe bien » ? Pourquoi, au fond, se compliquer la vie ?

C’est en cela que le gouvernement de François Hollande et Manuel Valls passe, comme toujours, à côté de la réalité. Et s’apprête à causer, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, d’importants dégâts dans le droit et la culture française.

Car divorcer, ce n’est pas simplement rayer deux noms au bas d’un parchemin. Un mariage est un engagement devant la loi. Il fait l’objet d’une publication obligatoire des bans. Un officier d’état civil recueille le consentement des époux.

Ce que le peuple français a permis, seul le peuple français peut le défaire. Aujourd’hui, par le parallélisme des formes – qui est l’un des fondements de notre droit -, il revient logiquement au juge de recueillir le consentement des mêmes époux au moment de divorcer. Le juge n’agit pas en son propre nom, comme un avocat ou un notaire. Il agit au nom du peuple français.

Car divorcer, ce n’est pas qu’une formalité. C’est une douleur, une épreuve, que l’on traverse. Ce sont des enfants, qu’il faut protéger. C’est un patrimoine, qu’il faut diviser. C’est toute une vie que l’on remet en question.

Et dans cette situation de fragilité extrême, où nos vies sont à nu, le gouvernement nous retire notre seule protection : le regard du juge. Le juge qui prévient l’injustice et protège le faible contre le fort.

Tout le paradoxe de cette situation tient à cela : dans une situation où il faut protéger le faible contre le fort, François Hollande et Manuel Valls ont choisi… Le fort.

Méconnaître le juge, c’est retirer au justiciable le droit être protégé. Dans ses mémoires sur La question du divorce, le grand juriste Jean Carbonnier estimait que la présence du juge était la seule à même à garantir la liberté des consentements. La seule.

Dans l’aveuglement de la douleur qui, hormis un juge, peut garantir qu’un époux ou une épouse fragile ne cédera pas à la pression d’un consentement mutuel, et ne renoncera pas à certains de ses droits : prestation compensatoire, pension alimentaire, voire autorité parentale ?

Sans l’intervention d’un juge, l’un des époux pourrait être lourdement lésé, et le notaire ne pourrait faire… que l’enregistrer.

Au fond, avec le divorce sans juge, le gouvernement entérine l’Überisation du divorce. Il est facile de voir la prochaine étape : celle des procédures de divorce simplifiées, avec une convention-type, validée par le biais d’une application sur son téléphone portable. Divorcer ? Il y a une application pour cela ! Est-ce vraiment l’avenir que nous souhaitons pour nos enfants ?

Car, et c’est sans doute le point le plus grave, le plus inquiétant, le plus inacceptable, cette mesure porte atteinte aux intérêts de l’enfant. Plus de la moitié des divorces par consentement mutuel interviennent en présence de mineurs. Plus 60 000 enfants sont concernés chaque année. C’est la raison pour laquelle le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, a émis publiquement ses réserves sur le projet.

Le code civil prévoit que l’enfant puisse être entendu par le juge dans toute procédure le concernant. Ce droit est maintenu dans la proposition du Gouvernement. Mais qui vérifiera que ce droit a bien été proposé à l’enfant, si le juge ne le fait pas, comme il le fait aujourd’hui systématiquement ?

Et, s’il on s’en réfère aux économies que permettrait de réaliser le projet, le rapport sur L’ambition raisonnée d’une justice apaisée coordonné en 2008 par Serge Guinchard, doyen honoraire de la faculté de droit de Lyon, est sans appel : la proposition actuelle du Gouvernement entraînerait une économie dérisoire de 8 postes pour les juges et de 16 postes pour les greffiers.

Par ailleurs, la loi du 26 mai 2004 relative au divorce a déjà sensiblement amélioré la procédure du consentement mutuel, avec des délais raccourcis de 9 mois à 3,5 mois. Ce délai n’est certainement pas idéal. Mais il est raisonnable.

Rappelons, enfin, que cette mesure ne figurait ni dans les travaux préparatoires au projet de loi ni dans le projet de loi initial. Elle a été introduite, en catimini, par le biais d’un amendement.

Comme si, dans cette mesure historique, qui met en jeu l’avenir de millions d’adultes et d’enfants, des millions de nos concitoyens, le gouvernement avait totalement improvisé. Comme si, au fond, le gouvernement avait honte de cette mesure. Et il a bien raison d’avoir honte.

Le gouvernement doit retirer son projet de loi. Car divorcer n’est pas anodin. Il ne faut pas dramatiser l’acte. Mais il ne faut pas non plus le banaliser. Et, en cela, limiter les droits des plus vulnérables. Renoncer à la justice, c’est affaiblir la justice. N’affaiblissons pas notre justice.

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